23

Tels des spectres gris dans la brume, ils se tenaient immobiles et cependant ténus, comme des ombres se profilant sur une eau peu profonde. Ils observaient en silence les formes endormies autour du feu, réduit à quelques braises rougeoyantes.

Dealey se redressa nerveusement, sans faire de bruit, se demandant si ce n’était pas la suite de son rêve. La couverture, qui était restée sur sa tête quand il était tombé dans un sommeil agité la veille, glissa sur ses épaules. Il essaya de compter les silhouettes spectrales, mais ne distinguait pas vraiment les troncs d’arbres rabougris des corps, en raison de la brume matinale trompeuse, bien qu’elle fût moins dense que le jour précédent. Il eut la tentation de crier, de les saluer ou au moins d’alerter les autres, mais le cri resta au fond de sa gorge : il y avait quelque chose de menaçant dans leur silence et leur immobilité. Dealey s’appuya contre la souche de l’arbre calciné.

Un insecte bourdonnant vint se poser sur son sourcil, et aspira aussitôt des gouttelettes de sueur qui s’y étaient déposées. Dealey cligna des yeux, contractant fébrilement son visage pour chasser la mouche sans faire le moindre mouvement. L’insecte, d’une taille impressionnante, refusa et son hôte fut contraint de secouer la tête. La mouche s’envola, furieuse, mais ce fut alors une goutte de sueur dégoulinant le long de son nez qui vint le tourmenter. Il baissa la tête avec précaution et se frotta le visage sur sa main posée sur ses genoux repliés, maudissant la sueur due à l’humidité et non à la peur.

L’une des silhouettes avançait, s’approchant des formes allongées, et commençait à se distinguer. Dealey retint son souffle en voyant un Noir, de haute taille, se pencher sur une couverture en boule pour observer l’homme endormi. Il portait un ciré transparent informe, boutonné au cou comme une cape ; d’une main, il tenait un fusil, de l’autre un couteau de boucher rouillé. Il se redressa et s’approcha d’une autre forme. Cette fois, il se servit de la lame pour soulever la couverture.

Les autres silhouettes surgissaient de la brume avec de plus en plus de netteté. L’un d’entre eux saisit la bouteille de whisky, près des braises, et avala les dernières gouttes avant de rejeter la bouteille sur la terre noircie. Les dormeurs commençaient à remuer.

Dealey en compta dix... douze... quinze..., au moins quinze silhouettes qui s’approchaient du campement de fortune, et parmi eux, se profilaient deux, non, trois formes recroquevillées, qui se déplaçaient. Des chiens ! Oh, mon Dieu, ils avaient des chiens ! N’étaient-ils donc pas au courant de la rage ?

Il ouvrit la bouche pour crier, en guise d’avertissement ou de bienvenue, mais quelque chose de lisse et dur glissa le long de sa gorge. Une telle pression s’exerçait qu’il suffoqua ; la barre d’acier lui plaqua le cou contre la souche. Du coin de l’œil, il distinguait des mains infectes, aux articulations blanches, de chaque côté de la barre ; il savait que son agresseur se tenait derrière le tronc d’arbre, les mains passées tout autour. Dealey sentit sa langue gonfler dans sa bouche sous la pression.

Ses compagnons s’étaient redressés et promenaient des regards surpris. Dealey les observait, plaqué contre l’arbre ; l’un des dormeurs reçut un coup de pied. Ellison se réveilla en hurlant et tenta de se lever ; un pied lui cloua la poitrine au sol. Jackson protesta, mais le grand Noir lui pressa le couteau de boucher jauni contre la joue. Fairbank allongea la main pour saisir une hachette à portée de main, mais une botte lui plaqua le poignet sur l’herbe et une autre envoya valser l’outil. Dealey commençait à émettre des borborygmes, les yeux fixes comme ceux d’une marionnette de ventriloque au visage d’un rouge criard ; la langue plaquée contre les dents. Ses talons martelèrent le sol, il tenta de se glisser sous la barre, mais l’agresseur était trop fort.

Le grand Noir jeta un coup d’œil de son côté et brandit son fusil. D’une dernière secousse méprisante, il relâcha la pression sur le cou. Dealey s’affala, il se passa la main sur sa gorge endolorie. Un autre coup avec la barre de fer, tout aussi rude, l’envoya rouler vers les autres. Il se retrouva à genoux, non loin des deux Noirs, Jackson et l’homme, vêtu d’un ciré, et, tout en se massant la gorge et en faisant des mouvements de tête, il lança un regard furtif vers les intrus.

Ils formaient un groupe étrange ; la façon dont ils étaient vêtus et les armes qu’ils portaient leur donnaient une apparence encore plus sinistre. Leurs vêtements étaient en loques et couverts de taches ; certains, toutefois, portaient des chemises et des vestes qui avaient encore la marque nette des plis du neuf ; sans doute avaient-ils été récemment dérobés dans les magasins partiellement détruits. Comme le grand Noir, certains étaient vêtus d’imperméables déboutonnés comme s’ils s’attendaient au retour imminent de la pluie. Un ou deux portaient des chapeaux de femme aux bords souples. T-shirt déchiré, pull et jean, tels étaient leurs habits de base ; quelques-uns avaient un châle autour des épaules. Il semblait y avoir plus de Noirs que de Blancs parmi eux et tous portaient des sacs à l’épaule ou des sortes de balluchons.

Il y avait trois femmes, deux Antillaises, sans doute des adolescentes, et une Blanche, plus âgée, les cheveux jaunes en bataille, avec une expression aussi rude que celle des hommes. Elle portait une jupe imprimée, à dominante rouge mais sans éclat, qui lui descendait presque jusqu’aux mollets, des chaussettes et des espadrilles. Le tout agrémenté d’un chandail bleu, large, et d’une grande écharpe en soie bleu pâle qui lui servait de châle. Elle porta la main à sa bouche lorsqu’elle toussa ; c’était un son rauque, plein de bile. Les deux adolescentes portaient un jean serré et un pull-over, l’une d’elles avait un veston d’homme, malgré la chaleur.

Dealey se rendit compte que c’était un fusil à air comprimé, bien qu’entre ses mains, il semblât porteur de mort. Il était même surmonté d’une lunette de visée. En promenant son regard, il s’aperçut que les autres détenaient des armes similaires, alors que certains avaient des revolvers à la ceinture ou pointés sur ceux qui étaient allongés. On aurait dit des pistolets à air comprimé. Le reste de leurs armes consistait en couteaux, en longs bâtons solides  – des manches de pioches, sans doute. Un groupe désordonné, effrayant. Il tressaillit en voyant un chien trottiner vers lui et lui renifler les pieds. L’animal était, lui aussi, dans un piteux état, mais, au moins, nulle bave ne diaprait ses mâchoires et nulle lueur de folie ne brillait dans ses yeux. Il semblait également correctement nourri ; il faut dire qu’il n’était pas difficile de se procurer des vivres, ils en avaient fait eux-mêmes l’expérience. Quand le chien s’éloigna, peu intéressé, Dealey remarqua des meurtrissures et des cicatrices sur ses flancs et son ventre ; à certains endroits, des touffes de poils avaient été arrachées.

Dealey porta de nouveau son attention vers les hommes et s’aperçut qu’ils étaient, eux aussi, dans un piètre état. Le grand Noir avait une partie du visage couvert d’ecchymoses et une paupière boursouflée, à moitié fermée ; des points jaunes, purulents, tachetaient ses lèvres. La plus jeune des adolescentes se plia en deux, comme si elle souffrait de maux d’estomac et quelques hommes semblaient éprouver le même malaise. Des bandages rudimentaires leur recouvraient bras et poignets ; on distinguait des pansements sur les jambes à travers les pantalons déchirés. L’un d’entre eux, un adolescent qui ne devait pas avoir plus de dix-neuf ans, s’appuyait sur des béquilles, le pied enveloppé dans des linges décolorés qui le faisaient paraître trois fois plus gros.

Contrairement aux créatures que Dealey avait vues en rêve, aucune ne ricanait. Mais la menace qui en émanait était la même.

Ce fut Jackson qui prit la parole.

— Tu peux pas enl’ver cette lame de ma figure, frère ? dit-il d’un ton apaisant comme s’il voulait amadouer une bête fauve.

L’expression de l’homme ne changea nullement mais, d’un coup de couteau rapide, il taillada la joue de Jackson, faisant jaillir du sang. L’ingénieur, étendu par terre, porta la main à son visage en jurant ; il retira la main et regarda le sang, atterré.

— J’suis pas ton frère, cochon de merde, fit l’autre homme calmement.

Quelqu’un ricana.

Dealey se mit debout, la main toujours autour de la gorge ; deux intrus s’approchèrent de lui.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il, espérant les intimider par son ton autoritaire.

— Ferme ta gueule, s’entendit-il dire. C’est nous qui posons les questions, et vous qui répondez, fit le grand Noir en braquant son fusil sur la tête de Dealey. C’est un 22 long rifle, aussi puissant que le vrai. Il ne rate pas sa cible, il peut tuer.

— Je n’en vois pas l’utilité. Je puis vous assurer...

Un coup de manche de pioche lui fut assené aux mollets. Dealey partit à la renverse, en poussant un hurlement.

— J’t’ai dit d’la fermer, lui dit le Noir en guise d’avertissement.

Celui qui avait frappé Dealey recula et posa l’extrémité de son gros bâton sur le sol. Il était d’une pâleur malsaine rehaussée d’une rougeur au niveau des yeux.

— J’veux savoir comment vous avez échappé aux bombes, dit le Noir. Comment s’fait-il que vous n’ayez pas été réduits en cendres ?

— Nous étions..., commença Dealey.

— Pas toi, fit-il en pointant le canon de son fusil sur Jackson. J’veux qu’ce soit le Noir qui m’le dise.

Son entourage appréciait son humour.

— Hé, mon vieux, protesta l’ingénieur. Pourquoi tu m’parles comme ça ?

— Contente-toi d’répondre à ma question, cochon de merde.

— Nous étions dans un abri souterrain quand les bombes sont tombées, dit-il en repoussant le canon du fusil, craignant que le coup ne parte.

L’autre homme ne broncha pas.

— Quel foutu abri ? Vous êtes des types du gouvernement ou un truc comme ça !

Jackson prit conscience de son erreur.

— Non, non, nous sommes simplement des ingénieurs, mon vieux. Nous travaillons au central téléphonique, sous terre, c’est tout.

— Il a dit que c’était un abri, Royston, intervint la femme aux cheveux jaunes. Je les ai entendus parler d’un abri.

Les yeux du Noir se plissèrent d’un air méfiant.

— Ouais, j’ai entendu. Vous êtes un de ces salauds qui ont provoqué tout ça ?

— Vous -vous foutez de moi, s’exclama Jackson, les sourcils haussés de surprise. J’m’occupe simplement d’la maintenance, putain, c’est tout. Nous sommes tous des ingénieurs des télécoms, sauf... (Il évita le regard de Dealey.) Allons, de quoi s’agit-il, mon vieux, nous sommes tous dans le même pétrin.

— C’est pas mon avis. T’as l’air plutôt en bonne santé, négro. Tous d’ailleurs, vous m’avez l’air bien. P’t-être un peu sales, mais en forme. On en a pas vu beaucoup des comme vous.

— Il y en a d’autres ? Ne put s’empêcher de demander Dealey. Combien en avez-vous vus ? (Il reçut un coup de manche de pioche en guise d’avertissement.) Non, je vous en prie, c’est important. Vous devez nous le dire.

— J’ai pas besoin de vous l’dire, merde.

Celui du nom de Royston  – prénom ou nom, Dealey s’en moquait en ces circonstances  – se pavana.

— Qu’est-ce que vous croyez, que tout le monde est mort ? Presque tous, c’est vrai, même ceux qui devraient pas. Mais vous m’avez toujours pas dit pourquoi vous avez l’air si gras et si en forme. Vous savez quequ’chose qu’on sait pas ?

Il s’accroupit auprès de Dealey, le ciré froissé entrouvert s’étalant autour de lui, et dit sur un ton de confidence :

— Regarde-nous, mec. Toutes ces escarres, ces entailles, cette toux ne guériront pas. On a attrapé une maladie de merde et certains de nos frères sont morts simplement d’un mauvais rhume, tu vois c’que j’veux dire ? Tu vois cette petite là-bas ? Elle a tout le corps marqué. Tu vois le type avec les béquilles ? Ses pieds puent tellement qu’on peut pas s’approcher de lui. (Il baissa le ton.) La moitié d’entre eux sont en train d’crever et ils le savent pas.

— N’y a-t-il pas d’hôpitaux ? de centres médicaux ?

— Tu me comprends pas, monsieur. Y à rien, pas d’hôpital, pas d’aide, rien. La seule bonne chose, c’est qu’il y a plus de loi, en dehors de celle-ci ; fit-il en tapotant le canon de son fusil.

Dealey hocha la tête lentement, conscient que seule la force brutale prévalait.

— N’y a-t-il pas de troupes dans la ville ?

Royston émit un petit rire sec et Dealey grimaça devant son haleine fétide.

— Rien. Il reste rien nulle part dans ce putain de monde. Nous sommes venus de c’côté du fleuve, en pensant qu’il resterait encore quèqu’chose ici, mais tout ce qu’on a trouvé, c’est des morts et des cadavres qui marchaient. Sûrement d’autres groupes comme nous, survivant comme ils peuvent, tuant si c’est nécessaire. La loi d’la jungle, c’est ce qui nous faut, non ? Hé, je parle, je parle, et t’as toujours pas répondu à ma question. (Il titilla le nez de Dealey de la pointe de son couteau et sa voix se fit implacable.) Vous êtes combien ici et où se trouve cet abri ?

— Regardez ce que j’ai trouvé !

La voix venait de plus loin. Toutes les têtes se tournèrent pour la localiser. Deux silhouettes sortirent de la brume. L’une d’entre elles était Kate. Dealey se rappelait très bien qu’elle s’était éloignée, la veille, en compagnie de Culver, pour passer la nuit dans un endroit plus tranquille. L’autre silhouette, un Blanc portant un pantalon beaucoup trop grand pour lui et un veston, également informe, avec un gilet dessus, la faisait avancer, en la tenant d’une main par les cheveux. Dans l’autre main, il portait un croc de boucher incurvé. Ses yeux avaient une expression malveillante.

Les autres hommes dans le groupe l’observaient avec un vif intérêt, tandis que la blonde avec le foulard de soie ne dissimulait pas son hostilité à l’égard de Kate, comme si celle-ci représentait une menace.

— J’l’ai trouvée endormie un peu plus loin, annonça son assaillant avec un sourire forcé.

Un foulard rouge était noué autour de son front pour empêcher ses cheveux ébouriffés de lui retomber sur les yeux. Comme les autres, il ne s’était pas rasé depuis longtemps et sa peau était flétrie comme par des cicatrices de brûlure.

— Elle était seule ? demanda celui qui s’appelait Royston.

— Je suppose. Elle était profondément endormie quand je me suis approché d’elle.

Dealey scruta la brume. Culver, où était Culver ?

Le grand Noir s’immobilisa devant Kate.

— Pas si mal, dit-il en la regardant de la tête aux pieds et en lui passant le dos de la main le long de la joue. Pas extraordinaire, mais pas mal.

Il laissa errer sa main sous son menton, lui effleura le cou, et la glissa dans le col ouvert de sa chemise. Quand il sentit ses seins, il serra très fort.

Kate se dégagea, ripostant de ses poings fermés. Celui qui la tenait toujours par les cheveux la força à s’agenouiller, tandis que les autres, méfiants à l’égard de leurs prisonniers, se réjouissaient à l’avance. Ces dernières semaines, ils avaient appris qu’ils pouvaient s’emparer de tout ce qu’ils trouvaient : vivres, vêtements, abri, corps et vies. Il n’y avait plus aucun contrôle, seule comptait la survie.

Avec précaution, Royston posa le fusil à air comprimé par terre, mais garda la lame du couteau pointée vers le haut et s’approcha encore de Kate. Elle lui lança un regard furieux, mêlé de frayeur. Royston aplatit la lame contre la joue de Kate et la froideur de l’acier lui fut aussi répugnante que son contact. Son visage n’était qu’à quelques centimètres du sien et elle se rendit compte qu’il n’y avait pas que son haleine qui exhalait une odeur effroyable, mais également ses blessures et ses escarres ; ses lèvres gercées remuaient lentement, comme si le simple fait de parler lui faisait mal.

— T’as besoin d’une leçon, toi, la Blanche. T’auras plus besoin de me dire c’qui faut faire, fit-il en tordant sa lame de façon à ce que Kate ait la pointe acérée contre sa joue. (Kate essaya de reculer. Du sang perlait sur le métal terni, mais la main qui la tenait par les cheveux était ferme.)

— Bon sang, que faites-vous ? hurla Jackson, furieux à cause de l’image que donnaient ses frères de couleur autant que par la violence exercée sur la jeune femme.

Il bondit et, d’un coup de pied, envoya rouler l’autre Noir au sol en le suivant dans son élan pour lui saisir la main qui tenait le couteau. Patte-d’éléphant relâcha Kate et prit Jackson par-derrière ; il se servit du croc de boucher pour lui harponner l’épaule et tira. Jackson hurla lorsqu’un crochet s’accrocha à un muscle. Il fut tiré et se recroquevilla en boule tandis qu’ils le harcelaient de coups de pied hargneux.

Les deux jeunes Noirs qui surveillaient Fairbank, dont l’un portait un chapeau de femme à bord souple, défièrent l’ingénieur de bouger. Un autre, un Blanc d’une corpulence impressionnante, mais très jeune, tenait son bras autour du cou de Dene et pressait le canon d’un revolver à air comprimé sur sa tempe. Ellison était également sous bonne garde et Dealey restait immobile, à quatre pattes.

— Arrêtez, vous allez le tuer ! fit Kate d’un ton suppliant.

— Ça suffit ! dit le grand Noir en se levant une fois de plus.

Kate pleura de soulagement quand les coups cessèrent. Son soulagement était prématuré.

Royston se baissa pour ramasser le fusil.

— On va employer la manière forte avec c’te bonne femme, dit-il. P’t-être qu’on aura quèqu’réponses en même temps. Amenez-la ici !

Il s’avança à grandes enjambées vers le feu mourant et donna un coup de botte dans les cendres. Sous la poussière blanche, des braises brûlaient encore.

— Hé ! Amenez-le-moi.

Patte-d’éléphant et un autre homme saisirent Jackson par les coudes et le tirèrent vers le large cercle de braises qui se consumaient lentement.

— Bon, fourrez-lui la tête là-dedans, fit Royston en désignant les braises incandescentes.

— Non ! hurla Kate, en se précipitant.

Royston, sans même regarder, lui assena une claque qui l’envoya rouler au sol. Il fit signe à ses hommes et se mit derrière Jackson, à demi conscient, jambes écartées, la crosse du fusil posée sur la hanche, le canon pointé vers le haut.

Patte-d’éléphant et son complice avaient une expression sinistre. Ils tirèrent l’ingénieur, à genoux, vers le feu. Tout au bord, ils le forcèrent à se pencher pour qu’il perde l’équilibre. Puis ils lui poussèrent la tête vers le bas.

 

Culver s’avança furtivement, au ras du sol, profitant de l’obscurité qui commençait à s’accentuer. Il tenait à la main la hachette qu’il avait emmenée avec lui la veille. Lui et Kate s’étaient mis à l’écart des autres qui bavardaient autour du feu, souhaitant tous deux un peu d’intimité, une occasion de se parler. Ils avaient trouvé un arbre abattu et s’étaient blottis contre sa souche. Culver avait étendu la couverture qu’ils avaient amenée et ils s’y étaient enveloppés. Il avait prévu une hache au cas où des visiteurs importuns, au pelage noir et aux dents acérées, feraient irruption durant la nuit. Ce n’était qu’une mince protection, mais l’arme le sécurisait.

Ils avaient échangé des baisers, des caresses, avaient fait gentiment l’amour, car tous deux étaient encore épuisés et la fatigue les empêchait de connaître le bonheur suprême ; mais ils étaient bien dans les bras l’un de l’autre, heureux de se parler à voix basse, de se confier, de mieux se connaître. Le sommeil les avait vite terrassés.

Culver s’était réveillé le premier, le lendemain matin ; il s’était doucement dégagé de l’étreinte de Kate ; elle avait remué en marmonnant quelque chose ; il avait déposé un baiser sur son front humide et lui avait dit de dormir, car il était très tôt. Culver s’était éloigné pour aller se soulager, en emportant sa hache par précaution ; maintenant qu’il faisait jour, il se méfiait davantage des animaux atteints de la rage que des rats.

Près du centre du parc, il avait trouvé un abri partiellement détruit. Ridiculement pudibond, il y avait pénétré. Il défaisait sa fermeture Éclair quand une odeur infecte le saisit. Il recula de dégoût et son pied glissa sur quelque chose d’humide. Il eut un haut-le-cœur en explorant le sol dans l’obscurité.

Les gens avaient dû s’abriter juste avant l’explosion des bombes  – c’était aux alentours de midi et le parc devait être bondé  – ou peut-être s’étaient-ils furtivement glissés là par la suite. Les cadavres, ou du moins ce qu’il en restait, formaient un amas stagnant, étendu au sol comme un tapis froissé, en boule. Pourtant les corps se mouvaient. Grouillant en un tas gris-blanc.

Les asticots avaient dû dévorer la moitié de la chair, mais ils se tordaient toujours parmi les os, formant une surface luisante dans leur quête de nourriture, bien ordonnée, presque rituelle.

Il sortit précipitamment de l’abri, se tenant la bouche comme pour éviter de souiller davantage de son vomi leur mausolée. Il rendit tripes et boyaux. Et même lorsque son estomac fut vide, la contraction des muscles resta douloureuse ; il expulsait de l’air vide comme pour épurer totalement son corps. Il lui fallut un certain temps avant d’être capable de faire quelques pas pour trouver un autre endroit où se soulager.

Le parc était jonché de débris, séquelles de l’explosion des bâtiments environnants et, bien qu’il fût relativement abrité, aucun arbre, buisson, ou brin d’herbe n’avait été épargné. Il évita les essaims de gros insectes, sachant qu’ils se repaissaient des cadavres. La brume se levait plus rapidement, le sol et les ruines commençaient à sécher malgré les averses incessantes qui s’étaient abattues durant des semaines : Culver, vacillant, retourna vers l’arbre sous lequel lui et Kate s’étaient abrités.

Surpris de ne pas la trouver, il pensa qu’elle était retournée avec les autres, près du feu. Il aurait fait la même chose. Culver poursuivit son chemin, tout en réfléchissant au programme de la journée (il tentait de chasser de son esprit l’image de la tombe grouillante). Soudain il entendit les voix des intrus avant même de les apercevoir. A leur intonation, il comprit aussitôt qu’ils n’étaient pas là dans un but amical.

Culver s’aplatit au sol ; la brume était encore suffisamment épaisse pour le masquer s’il ne s’approchait pas trop. Il les distingua et se raidit, chassant facilement les précédents souvenirs. Il vit le grand Noir, vêtu d’un ciré transparent ridicule, toucher Kate ; sa main se crispa sur sa hache. Jackson bondit sur l’homme lorsqu’il posa son couteau sur la joue de Kate, le faisant tomber à la renverse, et il fut aussitôt assailli par deux autres.

L’inconnu noir cria quelque chose et Jackson fut traîné vers les cendres. La jeune femme avait été assommée et son assaillant lui avait tourné le dos avant que Culver se rende compte de ce qui allait arriver.

Le visage de Jackson n’était qu’à quelques centimètres des braises incandescentes lorsque la colère  – plus que la colère : une férocité qui emplit chaque recoin de son corps, envoyant des élancements lancinants dans sa tête explosa en un cri silencieux, le secouant de tremblements ; ses lèvres entrouvertes révélaient des dents serrées, son visage reflétait la haine à l’état pur. N’avaient-ils pas traversé suffisamment d’épreuves sans que ceux de leur propre race, survivants comme eux, ne les soumettent à un traitement aussi odieux ? La destruction ne leur avait-elle rien appris ? La folie n’avait-elle engendré qu’une nouvelle forme de folie ? Il refoula un cri et, sans rien dire, bondit.

Culver fut parmi eux avant même qu’ils s’en soient aperçus ; le grand Noir lui tournait toujours le dos.

Poussant enfin un cri, Culver propulsa la hache qui vint s’abattre sur la colonne vertébrale de celui qui portait le ciré, le sectionnant complètement. Il lui fallut tirer de toutes ses forces pour libérer la hache.

Royston émit un cri perçant d’animal ; ses bras se tendirent et laissèrent tomber les armes. Il s’effondra aussitôt, à plat ventre sur le sol, incapable du moindre mouvement, capable seulement de mourir. Ses pieds et ses mains se tordirent convulsivement et un gémissement sortit de ses lèvres couvertes de croûtes.

Culver ne s’attarda pas ; sa cible suivante fut l’un de ceux qui tenaient Jackson au-dessus des cendres, celui qui portait un foulard rouge autour du front. La lame de la hache l’atteignit sous le menton, lui relevant la tête d’un coup sec, l’envoyant rouler dans les braises. Culver sentit un coup violent contre son blouson de cuir et vit un fusil braqué sur lui. L’espace d’un instant, il se dit que peut-être il avait reçu une balle, pourtant aucun coup de feu n’avait retenti et il ne ressentait aucune douleur. Il balança de nouveau la hache ; le fusil tomba tandis que l’intrus qui le brandissait saisissait son poignet fracturé.

Jackson tomba la tête la première dans le feu et roula en hurlant, les braises luisant sur sa peau sombre.

Culver ne pouvait l’aider : les ennemis à combattre étaient trop nombreux. Il plongea au moment où un fusil le visait et sentit une piqûre le long de la joue. L’homme au fusil fondit sur lui, se servant de l’arme comme d’une matraque.

Fairbank profita de la confusion. Il s’empara de la hache, tombée à côté de lui ; et plongea la partie contondante dans l’estomac de l’un de ses assaillants. L’autre reçut la partie acérée en plein nez.

Le gros homme qui tenait Dene tira une balle de son revolver à air comprimé dans la tempe de l’ingénieur. Dene tomba à genoux, les mains sur la blessure. Il s’affala, la tête en avant, et resta au sol, immobile et silencieux. Le gros homme aussitôt ouvrit l’arme d’un coup sec.

Ellison tenta d’échapper aux trois hommes qui venaient vers lui. Ils le rattrapèrent facilement ; il se débattit avec ses poings et ses pieds, mais succomba rapidement à leurs assauts conjugués.

Apercevant l’individu qui se précipitait vers Culver, Dealey lui attrapa les jambes en plein élan et le projeta à terre. Culver bondit et lui frappa la nuque de son pied. Un craquement sinistre se fit entendre ; il espérait que c’était le nez. D’un simple coup d’œil, il évalua les dégâts et prit la hache devant lui par précaution.

Kate tira Jackson du feu et lui ôta les braises du visage. Fairbank venait de taillader la jambe d’un gros individu qui avait brandi un pistolet à air comprimé, sans cible précise. Le coup partit, retentissant au milieu des cris de femmes et des aboiements de chiens excités ; du sang jaillit de sa cuisse. L’homme blessé se baissa, gémissant tandis qu’il essayait d’arrêter l’hémorragie. Trois autres hommes et femmes assistaient à la scène, le regard inquiet ; l’attaque avait été si prompte et si dévastatrice qu’ils étaient perplexes. Maintenant, c’était à leur tour d’avoir peur.

Ce fut la blonde, vêtue d’une jupe longue et d’un foulard de soie bleue, qui mit un terme à la situation avec un cri perçant, elle se rua sur Culver. Des ongles pointus lui lacérèrent le visage. Il n’eut que le temps de lever le bras pour se protéger les yeux d’une blessure plus grave. Ils tombèrent à la renverse sans pour autant cesser la lutte ; le dos de Culver souleva une pluie de cendres.

Les trois individus s’avancèrent, stimulés par la furie de la femme. Fairbank surgit brusquement devant eux, la hache brandie, les défiant d’approcher. Hésitants, ils levèrent leurs armes, une barre de fer, un manche de pioche et un couteau. Leur progression était plus prudente.

D’un coup de genou entre les jambes de la femme, Culver la projeta au sol. Elle se tordit de douleur de l’autre côté des cendres, à bout de souffle, mais déjà tentait de se relever. Culver se redressa ; des braises tombaient de son blouson de cuir ; il se tourna à moitié pour faire face à l’attaque. Le visage crispé de la femme n’était qu’à quelques centimètres ; encore en équilibre précaire, il lui assena un coup de poing et la suivit dans sa chute en s’écartant de la chaleur. Il avait les doigts en sang quand il se releva.

Il vit Fairbank parer un coup de barre de fer avec la hache. Un autre homme s’apprêtait à le frapper sur la tête avec un énorme madrier. Culver avança de deux pas et bondit, pivotant pour attaquer l’assaillant sur le côté. Ils tombèrent tous deux et Culver se releva instantanément ; sa botte atteignit au menton l’homme à terre. Un troisième homme, qui maniait le couteau, recula, ne souhaitant pas s’en mêler. Les deux Noires, accrochées l’une à l’autre, hurlaient en prenant soin de rester à l’écart. Culver vint à la rescousse de Fairbank et vit que l’homme à la barre de fer s’était également retiré de la mêlée. Le sourire de Fairbank était peu engageant.

Culver le rejoignit et dit doucement :

— Nous ferions mieux de filer d’ici tant que c’est possible.

— En effet, répliqua Fairbank.

Ils se rendirent vite compte du triste état de leurs compagnons ; Ellison semblait être le plus mal en point.

— Dealey, aidez Kate, ordonna Culver. Courez vers le fleuve. Vous connaissez le chemin.

Dealey se leva et se dirigea en titubant vers Kate qui, agenouillée près de Jackson, continuait à lui ôter les cendres du visage. Les trois hommes qui frappaient Ellison furent pris au dépourvu par Culver et Fairbank qui se jetèrent sur eux. Deux tombèrent sur-le-champ, quoique blessés très légèrement ; le troisième chancela lorsque Fairbank lui assena un coup de son poing gauche. Culver et Fairbank relevèrent Ellison et le traînèrent vers leurs compagnons qui battaient en retraite.

— Dene ! hurla Fairbank.

Culver promena son regard et trouva le jeune ingénieur prostré. — Allez, je vais m’en occuper.

Fairbank, la hache levée dans la main droite, la gauche soutenant Ellison, s’éloigna à pas chancelants tandis que le pilote se penchait à la hâte sur le corps flasque de Dene. Il s’agenouilla et tourna l’ingénieur vers lui. La mort lui était suffisamment familière pour la reconnaître aisément.

Des pas approchèrent ; en levant les yeux, il aperçut l’assaillant à la barre de fer foncer vers lui. Il lança sa hache qui heurta la poitrine de l’individu, mais pas du côté de la lame ; la violence du choc suffit, cependant, à mettre un terme à l’attaque. La barre de fer tomba au sol quand l’attaquant s’étreignit l’estomac, les jambes flageolantes.

Aussitôt Culver se releva et se mit à courir ; il traversa le parc dévasté, regrettant que la brume se levât si vite ; il aurait préféré se mettre à couvert. Il rattrapa les autres et libéra Kate qui soutenait l’ingénieur de maintenance, grièvement blessé, qui gémissait. Dealey maintenait Jackson de l’autre côté. Ils avançaient le plus vite possible, tant bien que mal ; après être passés devant la tombe remplie d’asticots que Culver avait découverte plus tôt, ils longèrent des courts de tennis déserts ; le grillage qui les entourait, étrangement, avait été épargné par l’explosion.

Jackson trébucha, tomba, et faillit entraîner Culver et Dealey dans sa chute.

— Ne vous arrêtez pas ! hurla Culver aux autres, faisant signe à Kate de continuer. Ils vont nous poursuivre !

— Il faut trouver une cachette, fit Dealey tandis qu’ils relevaient Jackson.

— Dès que nous aurons creusé une certaine distance entre eux et nous, lui dit Culver.

Des débris étaient amassés à divers endroits à la lisière du parc ; ils escaladaient les côtes les moins pentues de préférence, se frayant un chemin au milieu des décombres. Culver remarqua que Jackson avait un œil complètement fermé et que la majeure partie de son visage était à vif ; des morceaux plus sombres étaient incrustés dans sa peau ; c’était du charbon qui avait creusé un sillon indélébile. Son épaule gauche était couverte de sang. Au sommet d’une côte, Culver se retourna pour voir s’ils étaient vraiment suivis. Dans le tourbillon de brume, on distinguait des silhouettes qui couraient. Il se laissa tomber dans la ravine en contrebas, aida Jackson, conscient d’avoir été aperçu : l’une des silhouettes s’était arrêtée et le montrait du doigt.

Une autre image s’était imposée dans son esprit : la cité détruite, des monticules de terre pulvérisée, des bâtiments déchiquetés qui se dressaient au-dessus de la brume mouvante, bas dans le ciel, telles des montagnes au-dessus des nuages.

Pour Kate et Alex Dealey, c’était le spectacle le plus saisissant de la capitale anéantie qu’ils aient vu jusque-là, et, pour la première fois, l’ampleur du désastre les atteignit presque physiquement. Stupéfaits, et plus troublés que jamais, ils se frayèrent péniblement un chemin à travers les creux et les bosses, les crêtes et les énormes masses de béton. La chaleur rendait leurs efforts plus pénibles encore ; ils suaient sang et eau. Même la poussière qu’ils soulevaient dans leur course contribuait à leur donner un sentiment d’étouffement et à les ralentir. Des fragments de verre luisaient dans les décombres comme des diamants étincelants frappés par des rayons de soleil, les volutes de fumée ne parvenant pas à retenir totalement la lumière.

La cheville blessée de Culver lui faisait horriblement mal ; il sentait que ce n’était pas de la sueur qui transperçait le bandage et la chaussette. Il porta la main à sa joue douloureuse et ses doigts se couvrirent de sang ; il avait supporté bien d’autres blessures dans la lutte, plus tard il se pencherait sur elles  – si toutefois il y avait un plus tard.

Kate fit un faux pas et poussa un cri, mais elle poursuivit son chemin en boitillant, trop effrayée pour tourner la tête.

Devant eux, la vallée s’élargissait ; Culver savait qu’ils devaient se trouver dans ce qui, autrefois, était une des artères principales qui menait à l’écluse d’Aldwych ; un peu plus loin, il y avait Waterloo Bridge et la Tamise. Tout près, devait se trouver l’unique endroit sûr.

Mais, à cette allure, il savait bien qu’ils ne pourraient jamais y arriver.

L'empire des rats
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